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Je me souviens encore de cette journée où Elise et Paul franchirent le seuil de ma salle de médiation. Leur conflit s’était transformé en une lutte acharnée, une véritable guerre d’égo. Tous deux étaient figés dans leurs certitudes, incapables de concevoir que l’autre pouvait, même un tant soit peu, avoir raison.

Elise fut la première à entrer dans la salle. Elle affichait clairement son assurance. « Je ne vois pas pourquoi je suis ici. Il sait très bien qu’il a tort », me lança-t-elle en s’asseyant, les bras croisés. Paul, quant à lui, avait le visage fermé, il s’installa sans porter le moindre regard à Elise. « Si je suis là, c’est parce qu’on m’a forcé », dit-il froidement.

Le cœur de leur dispute ? Une décision à prendre dans le cadre de leur société, où aucun ne pouvait lâcher prise. Elise voulait moderniser, tandis que Paul défendait des valeurs traditionnelles. Leur entêtement les avait conduits dans une impasse. Aucun ne pouvait comprendre que l’autre puisse avoir une autre vision.

« Très bien », leur dis-je après quelques échanges tendus, « parlons de ce qui vous tient à cœur. » Elise ne se fit pas prier. Avec toute sa verve, elle exposa sa vision : « Il n’écoute rien. Il a peur du changement. Comment pourrions-nous avancer si nous restons coincés dans le passé ? » Paul, piqué au vif, rétorqua immédiatement : « Elle ne comprend rien à ce qui fait notre force. Ce n’est pas en détruisant ce qui fonctionne que l’on progresse. »

Ces échanges, que j’avais vus tant de fois dans d’autres conflits, portaient la marque d’un égocentrisme inébranlable. Chacun d’eux était prisonnier de son propre point de vue, incapable de faire un pas vers l’autre. Ils ne s’écoutaient pas ; ils attendaient simplement leur tour pour parler.

« Stop », dis-je. Ils me regardèrent, surpris par l’interruption. « Nous allons changer de rythme. Paul, vous allez écouter Elise, et cette fois-ci, pas pour lui répondre. Juste pour comprendre ce qu’elle ressent. Ensuite, Elise, vous ferez la même chose pour Paul. » Celui-ci prit une grande inspiration et se tourna lentement vers Elise. « Très bien, je t’écoute. »

Elise hésita, puis s’exprima sans agressivité : « Je veux simplement que notre entreprise ne reste pas bloquée et que nous nous adaptions aux nouvelles attentes. Je crois que si on ne le fait pas, on va stagner, voire disparaître. » C’était la première fois qu’elle laissait entrevoir autre chose que de la colère.

Paul resta silencieux quelques secondes. « Je comprends », dit-il. « Mais moi, je crains qu’en changeant trop, on perde ce qui nous a permis de réussir. » Ses mots, moins tranchants, créèrent une brèche dans la muraille de ressentiment qui les séparait. Pour la première fois, ils semblaient se parler et non se répondre.

Je leur fis remarquer leur inquiétude commune. Tous les deux voulaient le meilleur pour leur entreprise, mais chacun avait interprété différemment ce que signifiait « progresser ». A partir de là, le dialogue devint moins tendu. Elise ne voyait plus Paul comme un obstacle, mais comme un partenaire. De son côté, Paul commençait à comprendre que la modernisation proposée par Elise ne visait pas à détruire ce qu’ils avaient bâti.

Après une heure de discussions, le ton avait changé. Certes, il y eut encore quelques frictions, mais la volonté d’écouter et de trouver un compromis était désormais palpable. Le fossé qui les séparait n’était plus infranchissable.

Elise et Paul quittèrent la salle avec un sourire timide, conscients de leurs différences, mais ouverts à l’idée qu’elles pouvaient coexister. Le chemin était loin d’être terminé. Comme quoi, l’ego, s’il est bien guidé, peut laisser place à l’écoute.

Lausanne, le 18 octobre 2024

Auteur / autrice

  • Médiateur FSA et Avocat à Lausanne. CAS (Certificate of Advanced Studies) en médiation de l’Université de Fribourg. Brevet d’avocat en 1997. Licence en droit à l’Université de Lausanne en 1993.

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