Un peu de philosophie

« Ne pas vouloir mourir est la voie la plus sûre vers la mort éternelle ». Le loup des steppes, de Hermann Hesse.

2.9.21

« Ne pas vouloir mourir est la voie la plus sûre vers la mort éternelle ». Le loup des steppes, de Hermann Hesse.

 

L’attitude d’une partie de l’humanité n’est-elle pas de refuser la mort ? Par ces temps de pandémie, la crainte de la mort est ’une actualité frappante. Il faut se protéger de toutes les maladies et à tout prix.

Molière l’a déjà dit dans le malade imaginaire : « Presque tous les hommes meurent de leur remède, et non pas de leur maladie. ».

Dans ma pratique d’avocat je suis amené à rencontrer tout type de clients. Bien que je sois soumis au secret professionnel, j’ai envie de partager avec vous l’histoire d’un client ou plutôt d’une cliente, que j’ai reçue l’autre jour à l’étude.

Comme à l’habitude, cette nouvelle personne était déjà installée dans la salle de conférence de l’étude lorsque j’y suis entré. Cette cliente était assise sur l’une des chaises et à ma grande surprise, elle avait un physique et un habillement particuliers. Son corps semblait décharné et elle était vêtue d’une robe qui lui couvrait presque l’intégralité du corps. L’étoffe de son vêtement était de couleur sombre et malgré l’épaisseur du tissu, celui-ci partait en lambeaux. Je suis aussi resté interloqué par l’objet qu’elle a déposé à ses pieds, soit une faux.

J’ai pris mon bloc-notes et un stylo et lui ai demandé ce que je pouvais faire pour elle. Tout d’abord, elle m’a fait part de toutes les misères qu’elle subissait de la part des hommes. Elle m’a exposé les difficultés de son quotidien, en m’indiquant qu’elle était crainte, détestée et personne n’avait envie de la rencontrer. Jusque-là, elle m’a précisé que c’était sa condition et qu’elle vivait plutôt bien cette situation. Toutefois, elle me consultait car elle avait reçu une convocation du tribunal de l’humanité, afin d’y être jugée. Elle me tendit l’acte d’accusation joint à la convocation de l’autorité judiciaire. En substance, le procureur considérait qu’elle ne devait plus exister et que la vie de tout un chacun serait bien plus agréable sans elle. Ma cliente craignait que le tribunal prononce à son encontre la sanction ultime, soit la peine capitale.

Elle me dit : « les hommes imaginent naïvement que grâce à la médecine, à la science et au progrès de la technologie, ils vont me voir disparaître. Par ces croyances, ils sont sur la mauvaise voie. En effet, seule ma présence, seule l’échéance mortelle, leur permet de vivre intensément et pleinement leur vie. Sans moi leur existence perdrait tout sel, tout plaisir, toute joie et le bonheur leur serait inaccessible.

A la date de l’audience, je me suis rendu au tribunal accompagné de cette cliente si particulière. Après une instruction menée uniquement à charge par le juge, lequel lui reprochait tous les maux du monde, on m’a donné la parole pour la plaidoirie. C’est alors que j’ai demandé sous les regards interloqués de l’assistance, l’acquittement de la mort. En substance, j’ai exposé qu’elle existait depuis la nuit des temps et que libérer la mort c’était donné du sens à nos vies. L’impermanence de nos souffles ne nous permet-elle pas de vivre pleinement et intensément ? Mourir, n’est-ce pas qu’une étape dans le cycle de la vie ?

J’ai quitté le prétoire, avec la grande faucheuse sous la huée de la foule reprochant à ma mandante son existence et à moi de l’avoir défendue.

À ce jour, je n’ai pas encore reçu le jugement. Toutefois, j’ai l’intime conviction que ce procès, je l’ai gagné.

 

 

Lutry, le 19 août 2021                                                                                  

Laurent Damond

Article paru dans le journal Le Courrier

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2.9.21

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