L'accident

Après s’être arrêté au panneau « Stop », perdu dans ses pensées, il démarre ...

24.6.21

Par l’intermédiaire d’un médiateur, victimes et condamnés peuvent se rencontrer. Lorsque les deux sont en accord avec ce processus, les résultats sont étonnants. En effet, la justice condamne, mais elle ne répare pas les blessures liées à des questions restées sans réponse.


Jean-Jacques circule au volant de sa voiture pour rentrer chez lui, il vient de terminer sa journée de travail et se réjouit de retrouver les siens. Après s’être arrêté au panneau « Stop », perdu dans ses pensées, il démarre en étant persuadé qu’aucun véhicule ne circule sur la route principale.

Caroline est une jeune femme de 22 ans. Cette fin de journée, elle a rendez-vous avec Pauline, une amie d’enfance, pour aller au cinéma. Elle circule sur la route principale en toute confiance.

C’est alors qu’un terrible bruit de tôle froissée et de verre brisé déchire le silence présent dans cette partie de la campagne vaudoise. Jean-Jacques persuadé que personne ne circulait sur cette route s’est engagé en toute sérénité. Caroline, quant à elle, n’a pas eu le temps de freiner au moment où le véhicule de Jean-Jacques lui a coupé la route.

Sous la violence de l’impact, Caroline a perdu connaissance. Quant à Jean-Jacques, il prend conscience, alors qu’il n’est que légèrement blessé, de la terrible erreur qu’il vient de commettre. Vraisemblablement par habitude et par manque d’attention, il n’a pas vu arriver la voiture de Caroline. Non seulement, il sait que sa responsabilité est engagée, mais de plus une angoisse l’envahit au moment où l’ambulance emmène Caroline à l’hôpital. En effet, il ignore tout de l’état de santé de la conductrice.

Après avoir été entendu par la police, il rentre chez lui. Le soir, rongé par la culpabilité, il ne trouve pas le sommeil. Par quels moyens puis-je prendre des nouvelles de cette jeune femme, par l’intermédiaire de ses parents ou des médecins ? Et si je téléphone comment est-ce que je vais être reçu ? Ces phrases raisonnent mille et une fois dans sa tête, comme un mantra.

L’ambulance transportant la jeune victime est arrivée à l’hôpital. Les médecins constatent que la jambe de Caroline est brisée, mais surtout que la peau de son visage est très endommagée à la suite de l’éclatement de la vitre latérale. En effet, de nombreux morceaux de verre ont blessé le visage de la jeune femme. Dans sa chambre, Caroline reprend peu à peu ses esprits. Sa jambe la fait souffrir, mais surtout elle angoisse à l’idée d’avoir des cicatrices sur son visage. Elle s’imagine alors défigurée et est révoltée, puisqu’elle n’a commis aucune faute. 

Aux yeux de Caroline, le conducteur qui lui a coupé la route ne peut être qu’un chauffard. Sans qu’elle puisse mettre un visage sur le responsable, il vient quand même hanter ses nuits.

Jean-Jacques n’a pas trouvé le courage de contacter Caroline. Plusieurs fois, il a saisi son téléphone portable, mais il n’a pas réussi à composer le numéro de l’hôpital. Il s’est alors résolu à lui adresser une lettre d’excuses qu’il a fait accompagner d’un bouquet de fleurs. Lorsque l’infirmière est entrée dans la chambre de la jeune femme pour lui remettre le présent et le courrier, Caroline s’est sentie une nouvelle fois blessée. Pour elle, le responsable de l’accident aurait au moins pu téléphoner.

Jean-Jacques a été condamné à une peine légère et un retrait de son permis de conduire. Durant toute cette procédure, les deux parties ne se sont pas rencontrées. Caroline a été intégralement indemnisée par l’assurance responsabilité civile du conducteur fautif.

Peu à peu, la santé de Caroline s’est améliorée. Elle a complètement récupéré sa mobilité et sa jambe ne la fait plus souffrir. Surtout, les cicatrices présentes sur son visage ont quasiment disparu. Toutefois, elle diabolise encore Jean-Jacques et régulièrement, des bouffées d’angoisse l’envahissent. Après en avoir discuté avec son psychologue, elle a souhaité pouvoir mettre un visage sur son « agresseur ». Après s’être renseignée, elle prend contact avec un médiateur, lequel lui propose, ce qui est un processus de plus en plus usité en matière pénale, de rencontrer le responsable de l’accident.

Lorsque Jean-Jacques reçoit le courrier du médiateur lui proposant cette rencontre, il y voit une opportunité de s’excuser. Jean-Jacques vit lui aussi mal cette situation et espère qu’une rencontre avec Caroline lui permettra de faire part à la victime de ses regrets et excuses.

Ainsi, le médiateur rencontre tour à tour Caroline et Jean-Jacques, afin de discuter avec chacun d’eux de leurs émotions et ressentis. Une séance commune est mise en place et les deux parties peuvent finalement se voir. Caroline se rend compte que celui qu’elle diabolise depuis de nombreux mois n’est autre qu’un père de famille, lequel a commis une faute d’inattention. Quant à Jean-Jacques, il prend conscience qu’il aurait dû rencontrer Caroline, lorsque celle-ci était hospitalisée. Il lui fait part de ses regrets de ne pas avoir trouvé le courage de franchir la porte de l’hôpital.

Ces séances permettent à la victime de ne plus diaboliser celle ou celui qu’elle ne connaît pas et pour l’autre personne d’exprimer ses regrets et de s’excuser.

Article paru dans le journal Le Courrier

le

24.6.21

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